Intervention recherche / “40 ans d’études japonaises : et maintenant ?” (Maison Franco-japonaise de Tokyo)
Dans le cadre de son 100e anniversaire de la Maison Franco-japonaise de Tokyo, l’Institut Français de Recherche sur le Japon a organisé entre le 15 et le 16 décembre 2024 un colloque intitulé “40 ans d’études japonaises : et maintenant ?”. La première journée était consacrée à une série de tables rondes dont l’objectif était de faire un état des lieux de la situation des études japonaises depuis l’organisation du colloque précédent en 1979. Au sein de la première table ronde intitulée “Les évolutions depuis 40 ans et les défis à venir”, ma contribution portait sur les thèses de doctorant en lien avec le Japon soutenues en France entre 1984 et 2024.
Cette page est dédiée au verbatim de la présentation, afin que les personnes intéressées puissent découvrir les quelques premiers résultats, certes mineurs, de l’enquête dans laquelle je me suis lancé.
Les thèses portant sur le Japon soutenues en France 1984 – 2024
Introduction
L’objectif de cette première intervention est d’appréhender l’évolution des études japonaises françaises par le prisme des thèses de doctorat soutenues depuis les quarante dernières années. L’exercice est complexe dans la mesure où se pose la question même de ce qu’est une thèse en étude japonaise et de ce qui permet de la qualifier en tant que tel. Son objet ? La place de la langue des sources utilisées ? La mention de la thèse au moment de son enregistrement ? Le domaine de recherche de la, ou du directeur de thèse ? L’établissement de soutenance ? Le présent travail ne prétend pas répondre à ces grandes questions épistémologiques. L’analyse présentée se limitera à essayer de donner une image de la façon dont l’objet « Japon » (sa culture, sa société, son histoire, sa langue) apparaît dans les thèses soutenues en sciences humaines et sociales dans les établissements de l’enseignement supérieur français.
Je ne discuterai pas (ou peu) ici de tous les choix méthodologiques qu’il m’a fallu faire pour constituer mon corpus (ils sont nombreux, et pourraient bien sûr prêter à discussion). Je préciserai tout de même qu’afin de ne pas me restreindre aux thèses soutenues dans les établissements connus pour avoir des départements d’études aréales ou sous la direction de chercheurs ou chercheuses appartenant directement aux études japonaises, j’ai décidé d’élargir l’analyse à toutes les thèses se rattachant au domaine des sciences humaines et sociales qui incorporait les mots « Japon, japonais » dans leur titre.
Pour rassembler les informations, j’ai utilisé de façon conjointe trois grandes bases de données : Sudoc (Système Universitaire de Documentation), le site Theses.fr géré par l’Agence Bibliographique de l’Enseignement Supérieur (Abes), et le moteur de recherche de thèses sur l’Asie développée par le GIS Asie. Ces trois plateformes posent toutes des problèmes d’utilisation. Je constate tout de même que la source la plus précise du point de vue des renseignements accessibles reste le site Theses.fr. Les autres sites ont été consultés à des fins de confirmation et de complément d’information.
Les seules données fiables que l’on retrouve de systématiquement sont : le nom et le prénom de l’auteur de la thèse, le titre de la thèse, l’établissement de soutenance, l’année de soutenance ainsi que le nom du ou des directeurs. Plus on avance dans le temps, plus les informations sont précises (présence de résumés en plusieurs langues, de la composition des jurys de thèse, etc.). En revanche, plus on remonte, plus la quantité de donnée disponibles diminue[1]. Une fois la recherche lancée et le travail de sélection et de vérification effectuée, le corpus obtenu contient 622 notices de thèses soutenues entre 1984 et 2024 (l’année 2024 n’étant pas terminée, il a fallu aller vérifier l’existence de d’éventuelles soutenances prévues pour les mois de décembre ou de novembre). La suite de cette présentation portera sur quelques premiers résultats. J’espère qu’ils permettront de nourrir la discussion de la table ronde.
1) L’évolution du nombre de thèses soutenues
Le premier niveau d’analyse consiste identifier l’évolution du nombre de soutenances par an.

Au premier coup d’œil, ce graphique permet tout d’abord d’identifier plusieurs vagues : à la fin des années 1990, à la fin des années 2000 et au milieu des années 2010. À l’inverse, on peut distinguer des périodes de creux, notamment au milieu des années 1990, au milieu des années 2000 et pendant la première des années 2010. Le pic du nombre de soutenances est atteint en 2012. Si l’on met de côté l’année 2024 qui n’est pas encore terminée, l’année qui a connu le moins de soutenances est 1996. Ces « cycles » de forte production de thèse et de ralentissement peuvent également être identifiés en établissant des moyennes par décennies. Là aussi, on observe un fléchissement à partir des années 2020 par rapport aux années 2000 et 2010.
Moyenne des thèses soutenues chaque année par décennie | |
1984 – 1989 | 11 |
1990 – 1999 | 11 |
2000 – 2009 | 18 |
2010 – 2019 | 20 |
2020 – 2023 | 11 |
Notons ici que ce ralentissement n’est pas propre aux thèses sur le Japon, mais concerne en réalité l’ensemble des thèses en sciences humaines et sociales en France. Les données du MESR indiquent que le nombre de thèses soutenues et de nouvelles inscriptions en doctorant est en constante diminution depuis 2011[2]. Cette diminution générale peut être identifiée à propos des thèses portant sur le Japon à partir de la fin des années 2010.
2) Les établissements de production et de soutenance
L’analyse des établissements de soutenance des thèses permet d’identifier assez facilement les principaux pôles de production de recherches sur le Japon. Mentionnons au passage que la restructuration de l’enseignement supérieur depuis les années 2010 (fusion d’université dans certaines villes comme Aix, Grenoble, Lille ou Bordeaux, création des regroupements universitaires de types PRES, COMUE etc.) a complexifié l’investigation. Afin de rendre plus claires les données, j’ai fait le choix de garder les dénominations les plus récentes des établissements concernés, et de ne pas prendre en compte le nom des regroupements (theses.fr à l’avantage d’indiquer les écoles doctorales de soutenance, et donc les établissements d’origines). À des fins de lisibilités, le graphique ci-dessous ne présente que les établissements où au moins 10 thèses ont été soutenues, soit 85 % du total (les autres universités représentent 97 thèses sur les 622 du corpus, soit un peu moins de 15 %).

Le peloton de tête des établissements où des thèses sur le Japon ont été soutenues est tenu par l’Inalco, l’EHESS et l’Université Paris 7 (aujourd’hui Université Paris Cité). Si ça n’est pas une surprise, il faut mentionner la place quantitativement importante d’autres institutions parisiennes telles que Paris 4 (aujourd’hui Paris Sorbonne), Paris 1 et Paris 3, dans des domaines spécifiques (l’histoire et les arts à Paris 4, le droit à Paris 1, et la littérature comparée à Paris 3[3]). Les universités en vert dans le graphique sont les principaux pôles régionaux. On y retrouve les universités disposant d’un département d’études sur le Japon (le cas de Lyon 2 est particulier, car c’est l’établissement où sont soutenues les thèses en réalité dirigée par des chercheurs rattachés à Sciences Po Lyon et l’ENS de Lyon). L’écart entre les universités parisiennes et régionales demeure important, les premières constituant près de 78 % des thèses soutenues (483 sur 622) lorsque les secondes représentent les 22 % restant, soit moins d’une thèse sur quatre dans l’ensemble du corpus.
3) Les thèmes de recherche à travers les mentions de rattachement des thèses
Une des difficultés lorsqu’il s’agit d’appréhender un corpus de plus de six-cents thèses est d’en faire ressortir des thématiques. Avec les données dont nous disposons, une seule piste s’offre à nous : analyser les rattachements disciplinaires des thèses par les mentions indiquées dans les bases de données (malheureusement, les résumés de thèse et les mots-clés, qui auraient pu permettre une analyse bien plus poussée, n’apparaissent systématiquement sur Theses.fr que depuis une dizaine d’années).
À partir des données brutes, on peut identifier 134 mentions différentes sur l’ensemble des 622 thèses. Certaines comme les mentions « histoire », « sociologie » ou « philosophie » sont généralistes et se retrouvent dans beaucoup d’établissements. D’autres sont exclusives à certains établissements. C’est par exemple le cas de la mention « Asie orientales et sciences humaines » qui est propre à Paris 7 (à cela s’ajoutent les changements sur le long terme). Un travail de réduction est donc nécessaire pour faire parler les données. J’ai choisi de rassembler les différentes mentions en utilisant les domaines de recherches représentés par les sections du Conseil National des Universités[4]. Ce travail de simplification permet de passer de 134 à 26 mentions.

Ce premier niveau d’analyse permet de faire ressortir les domaines académiques les plus fréquents parmi les thèses soutenues sur le Japon. Arrivent en tête les thèses soutenues dans des mentions d’études aréales (rattachées à la section 15), suivi des sciences du langage (qui incluent la linguistique), l’histoire, les sciences économiques et les disciplines artistiques (couvertes par la section 18 du CNU). À eux seuls, ces cinq domaines représentent 343 thèses, soit plus de 55 % du corpus. Si l’on ajoute les dix premiers domaines (littératures, science politique, sociologie, anthropologie et gestion), on obtient 80 % de l’ensemble. En comparaison, tout un autre pan des sciences humaines et sociales rassemblées autour du droit, de la philosophie et de la géographie, est bien moins présent dans l’ensemble des thèses sur le Japon.
Points à retenir pour la suite de la discussion
Malgré toutes les limites de ce premier travail qui se limite à un balayage sans entrée en profondeur et confirme surtout des intuitions, je pense qu’il peut être utile de retenir les points suivants :
- L’analyse du nombre de soutenances soutenues chaque année laisse apparaître des cycles de forte activité (fin des années 1990, fin des années 2000, milieu des années 2010) et de ralentissement. La décennie 2020 semble commencer par un affaiblissement certain.
- L’analyse des établissements de soutenance démontre le poids que tiennent les universités disposant de départements d’études japonaises importants (Inalco, Paris 7/Paris Cité en tête). Elle montre aussi qu’une part non négligeable des thèses provient d’autres établissements parisiens, notamment de l’EHESS et de Paris 4. Les pôles régionaux à l’origine de thèses sont sans surprise ceux dans lesquels on trouve un département d’études japonaises.
- En dehors de la présence des thèses soutenues en études aréales, l’analyse des mentions permet d’identifier de l’importance des sciences du langage et de l’histoire comme domaine académique (ces trois domaines représentant 40 % de l’ensemble de thèses). À l’inverse, le droit, la philosophie et la géographie sont des domaines dans lesquels les thèses sur le Japon semblent moins nombreuses.
Une piste pour aller plus loin dans ces analyses consisterait à essayer de faire ressortir des évolutions concernant chaque établissement et domaine de recherche sur un temps long, ce que je n’ai pas pu faire faute de temps. Heureusement, la suite de la discussion avec l’intervention d’Emmanuel Lozerand devrait nous permettre de mieux comprendre ce qui s’est passé dans le monde des études japonaises.
Analyse supplémentaire : l’évolution du nombre de thèses soutenues par domaine disciplinaire
À la suite de la présentation de novembre 2024, j’ai ajouté un niveau d’analyse supplémentaire pour mieux comprendre les dynamiques des quarante dernières années : l’évolution du nombre de thèses soutenues par domaine disciplinaire, en observant les choses par décennies. J’ai donc retenu les années 1980, 1990. 2000 et 2010.
Quelques précisions concernant la construction des données. Je n’ai gardé que les domaines disciplinaires dans lesquels plus de dix thèses avaient été soutenues entre 1984 et 2024 [5]. Par ailleurs, j’ai fait le choix d’agréger certaines sections afin d’obtenir des résultats plus lisibles [6].

En tout ayant en tête la tendance à l’augmentation générale des thèses soutenues entre les années 1980 et 2010 et l’amorce de déclin observé à partir de la décennie 2020 , il est possible de distinguer trois groupes : le groupe des disciplines dont le nombre de soutenances par décennie est relativement stable (les études japonaises et les sciences économiques), les disciplines où l’augmentation est marquée (les disciplines artistiques, l’histoire, la littérature et la sociologie) et un troisième groupe de domaine plutôt déclinant (la géographie, la philosophie, le droit). Les sciences du langage semblent être un cas à part, car c’est le seul domaine à avoir connu un pic au cours des années 2000.
[1] Sudoc et la plateforme du GIS Asie remontent aux années 1970, mais les notices sont souvent limitées en information ou comportent des erreurs.
[2] https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/FR/T744/le_doctorat_et_les_docteurs/#ILL_EESR17_R_38_01
[3] À noter que les thèses soutenues par des étudiants de l’Inalco au début des années 1980 étaient administrativement soutenues à l’Université Paris 3.
[4] Dans le cas des mentions de type « sociologie, anthropologie, ethnologie » de certaines thèses soutenues à l’Inalco, j’ai fait le choix de ne mentionner que le groupe qui rassemble certaines sections (voir la liste sur le site du CNU ici : https://www.galaxie.enseignementsup-recherche.gouv.fr/ensup/pdf/qualification/sections.pdf
[5] Cela met de côté les domaines suivants : Epistémologie et histoire des sciences – Section 72 (9 thèses), Histoire ancienne et archéologie – Section 21 (4 thèses), Langue et littérature française – Section 09 (3 thèses), Psychologie – Section 16 (5 thèses), Sciences de l’éducation – Section 70 (8 thèses), Sciences de l’information et de la communication – Section 71 (9 thèses), Urbanisme et disciplines associée – Section 24 (9 thèses) et Théologie catholique – Section 76 (1 thèse).
[6] J’ai rassemblé les catégories relevant du droit (groupe 1, section 1 Droit privé, section 2 Droit public), les catégories relevant de la littérature (Langues et littératures – Groupe III et Littératures comparées – Section 10), les catégories relevant de la catégorie des sciences économiques et sociales (Sciences économiques – Section 05 et Gestion – Section 06) et celles proches de la sociologie (Sciences humaines et sociales – Groupe IV et Sociologie – Section 19).

Programme complet du colloque disponible ici.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
César Castellvi (18 novembre 2024). Intervention recherche / “40 ans d’études japonaises : et maintenant ?” (Maison Franco-japonaise de Tokyo). Médias et espace public dans le Japon contemporain. Consulté le 7 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12p8h